Pour une écologie de long terme

Pour une écologie de long terme

La crise actuelle du Covid-19, qui n’a pas d’équivalent dans le monde contemporain, nous renvoie à plusieurs défis :

  • démondialiser (qui rime avec dédiaboliser, que l’on peut d’ailleurs entendre dans le premier verbe prononcé par certains parfois),
  • anticiper (mais avec nos structures administratives et la quête incessante du pouvoir de certains, est-ce compatible ? Je ne ferai ici aucun inventaire de dysfonctionnements récents…),
  • redéfinir (à peu près TOUT, si l’on prend les diverses initiatives du moment… et à peu près RIEN, si l’on voit les tendances post COVID-19 (du moins après la première vague) de consommation en Chine qui favorisent les entreprises… du luxe !).

Certes, il faut, peut-être, à l’image de la phrase mythique du « Guépard » (écrit par Tomasi di Lampedusa, réalisé par Visconti) « que tout change pour que rien ne change »… Et encore, que sommes nous prêts à conserver ?

Les démarches environnementales sont, elles-mêmes, fanées, n’ayant jamais réussi, dans les entreprises ou même ailleurs, à modifier profondément les modèles d’affaires ni à réduire, globalement les impacts environnementaux, ni même d’ailleurs à les mesurer, les catastrophes, l’invisible, l’imprévu (accidents, pollutions diffuses…) étant « hors scope ». Tout au plus ont-elle permis à leurs promoteurs de « gagner du temps ». C’était d’ailleurs le seul objectif de mon premier manager, dans un grand groupe agro-alimentaire. Faire un peu, mais peu, en attendant la retraite…

Comment jeter la pierre, quand certains résultats ou objectifs se mesurent au trimestre…

La pierre nous est, en tout cas, revenue en booomerang, par notre incapacité intrinsèque, cérébrale, à penser le long terme.

Il faut dire que notre brillant économiste John Maynard Keynes, pourtant promoteur d’un Etat-Providence (bien utile en ce moment) avait déclaré, de façon un peu trop définitive, avouons-le : « à long terme, nous sommes tous morts ». C’était faire peu cas des générations futures, des autres êtres vivants, de la valeur de la Vie, de la prédation qu’implique une vision à court terme et du risque sanitaire quotidien qu’impliquent la crise sanitaire actuelle, mais aussi la crise environnementale… Et que dire de sa « Lettre à nos petits-enfants » , parue en 1930, qui prédit pour 2030 une société d’abondance rendue possible par une accumulation du capital sans précédent, et quasi sans travail…

2020 : nous envisagions encore, il y a quelques semaines, 2030 avec les objectifs onusiens de développement durable (ODD). Avons-nous accumulé assez d’abondance pour nous passer du travail pendant plusieurs semaines ? Assurément non (ou du moins cette abondance n’est pas encore équitablement partagée), il faut toujours répondre « aux besoins du présent », mais quid des « besoins des générations futures » (la définition du développement durable de Gro Harlem Brundlandt de 2007 ne doit-elle pas être elle même révisée ou réinterprétée, de façon encore plus radicale) ?

2020 : comment encore se projeter dans des démarches de progrès, que nous vendent nos élites « éclairées » ?

Impossible en tout cas, sans 4 nouveaux axiomes :

  • la territorialité : hier encore certains voulaient rendre sexy le Made in Ailleurs… Il faut, en tout cas, reprendre, à la base, la réponse à nos besoins de base. 100 % local et en circuits courts, le plus possible. Ce confinement nous l’apprend en tout cas.
  • la reversibilité : peut-on se passer de la solution proposée, voire la démanteler, sans dommages ? De nombreux ouvrages et études des technocrates médiatiques français nous vantent l’atome, en faisant l’impasse sur la fin de vie (hors quelques hectares consommés…). Un exemple, structurant, parmi d’autres de questions à se poser à long, très long terme (sauf à toujours espérer un espoir technologique salvateur),
  • l’intemporalité : la marque et la mode sont-elles encore d’actualité ? Ne faut-il pas « basifier » la consommation, la rendre transparente, au bénéfice de plus de créativité dans nos échanges sociaux (qui ne sont pas que, ou sur, des réseaux sociaux) ? Pourquoi avoir mis autant d’intelligence dans la conception des emballages, dans le marketing, dans la communication, voire dans l’ingénierie négative (qui travaille sur obsolescence programmée) et si peu dans la prise en compte de l’environnement global et à long terme du cycle de vie du produit (matières premières, logistique, démontabilité…),
  • la sobriété : se déplacer sans cesse, est-ce utile ? Réunions et formations ne sont-elles, finalement, pas plus efficaces, avec l’apport de nouvelles modalités de prises de paroles, de réduction du temps, de fatigue, voire avec de nouvelles interactions plus dynamiques… La découverte, la déconnexion ont-elles besoin de 10 000 km… ? Peut-on réinventer le tourisme ou continuer à sacrifier à petit feu les espaces naturels ?

Carlos Moreno, inventeur du concept de la ville du quart d’heure, ne pensait sans doute pas que son concept serait mis en application aussi vite et de manière aussi radicale, avec la ville du kilomètre. Il est presque paradoxal (ou finalement attendu, notamment par les financiers, depuis longtemps) de constater que la crise actuelle a fait du village mondial (théorie chère à Marshall McLuhan) un village réinventé…

Le jour d’après, inventons également, désormais, le temps utile qui correspond à ces « jours heureux » évoqués récemment, ou moins récemment, par plusieurs décideurs, passés et présents.

Ce temps utile sera un temps fructueux, un temps long.

C’est la responsabilité de notre génération de mieux contrôler les élites (voire de les remplacer) et de redéfinir les priorités, qui ne peuvent que s’approcher, se comprendre, se raisonner par la prise en compte du global et du long terme (qui ne doivent plus êtres des options dans des discours, mais la base des projets opérationnels).

Notre espace est plus petit, certes, mais notre temporalité est, avec un lourd tribut, plus grande…

Et peut-être pourrons nous enfin penser aux générations futures ! Et agir, malgré le prix fort que nous payons (social et économique) et en ne faisant plus payer à l’environnement nos fameuses externalités…

Nous en avons désormais, étonnement, le temps.

Philippe Schiesser

17 avril 2020